Le chemin de fer de Hemmingford, 1852 – 1966

Partie II – Les gens par Pauline Smith et Sylvia Paulig  (août 2018)

Archives Hemmingford possède un dossier détaillé du chemin de fer, composé de nombreux documents et photos. En plus, en la personne de Garry Bickes, un résident de Hemmingford, les bénévoles des Archives ont sous la main un témoin d’une partie de son histoire. Dans son jeune temps, Garry a souvent voyagé en train pour aller voir de la parenté à Hemmingford puis, plus tard, il a fait carrière au CN. Ses souvenirs et ses expériences ont donc constitué une précieuse source d’information au cours de la préparation de cet article.

C’est une histoire fascinante que celle du chemin de fer et nous allons ici vous en raconter une partie, celle qui parle des gens qui ont travaillé ensemble pour opérer les trains de façon sécuritaire et faire en sorte qu’ils soient à l’heure. Ces gens composaient les équipages des trains, le personnel des stations, les équipes de maintenance et de gestion. Nous vous parlerons de certains parmi ceux-là qui ont fait vivre le train à Hemmingford.

Des trains de marchandises ont desservi Hemmingford durant les sept années précédant la construction de la station, terminée en 1860. Trois ans plus tard, en 1863, un incendie d’origine inconnue détruisit la station. Elle fut vite reconstruite mais, comble de malheur, en 1897, elle fut frappée par la foudre et brûla entièrement. Reconstruite encore une fois, elle fut en service jusqu’à sa fermeture en 1966. Nous savons que H.J. Scriver était l’agent de la station lorsque la foudre frappa et que Bill Baillie fut le dernier agent de la station.

L’agent de la station était responsable de la station ou dépôt. Dans une petite station comme celle de Hemmingford, il cumulait tous les postes : il était agent de la billetterie, opérateur de télégraphe, manutentionnaire des bagages et des marchandises, comptable et intendant général. Il était un résident local et on lui fournissait un appartement de fonction à l’étage de la station.

L’ingénieur du train avait, pour sa part, la charge de la locomotive. Il était responsable de son opération, du contrôle de la pression de la vapeur pour accélérer et freiner; il avait également pour tâche de s’assurer que la voie soit en tout temps dégagée et sécuritaire.

À Hemmingford, Jean Hébert fut le premier d’une dynastie de cheminots, couvrant trois générations. À cette époque, bien différente de celle d’aujourd’hui, les hommes apprenaient leur métier sur le terrain ou sur le tas et se méritaient de l’avancement grâce à leur travail et à leurs loyaux services. Le plus remarquable des ingénieurs Hébert fut le fils de Jean, Olivier. Il débuta comme chauffeur (fireman) à l’âge de 15 ans et termina sa carrière d’ingénieur en 1928. On raconte qu’il était un chef sévère qui avait mauvais caractère. Il disait que Willie Berthiaume était son meilleur chauffeur. En 1925, Halton Kennedy, qui n’était nullement perturbé par les sautes d’humeur de M. Hébert, est devenu chauffeur puis, plus tard, ingénieur à son tour.

Le poste de chauffeur était très important parce qu’il représentait la période d’apprentissage pour devenir ingénieur, étape qui durait généralement trois ans. Les locomotives à vapeur opéraient au charbon, au bois ou à l’huile. La chaudière devait être nourrie pour produire la vapeur qui donnait au train sa puissance motrice. La tâche du chauffeur était de contrôler la production de la vapeur. Un excès de vapeur pouvait faire exploser le moteur. Ceci arriva d’ailleurs un jour à un infortuné chauffeur nommé Patrick Kelly qui travaillait sur la ligne de Lachine, sur un train dont la locomotive se nommait Hemmingford.

D’autres accidents tragiques se sont produits dans la région. En 1891, le chauffeur Joe Poupart perdit la vie lorsque son pied se coinça sous les contrôles des rails et qu’un wagon recula sur lui. En 1892, un train roula sur une section endommagée de la voie, la locomotive tomba dans le fossé et une partie du wagon de passagers fut sérieusement endommagée ; heureusement aucun passager ne fut blessé. En 1905, le brakeman Johnny Blair perdit la vie lorsque qu’Olivier Hébert sortit une locomotive à reculons. L’enquête du coroner conclut à un accident.

En hiver, peut-être encore plus à l’époque que de nos jours, les voies ferrées étaient affectées par la neige. Il y avait un tronçon particulièrement dangereux près du cimetière de Saint-Rémi. En 1940, par un début de saison riche en tempêtes de neige, le train de passagers y resta pris pendant trois ou quatre jours. Malgré une charrue à neige et deux locomotives envoyées à la rescousse, le train glissa des rails vers la clôture du cimetière. L’ingénieur du train envoyé à la rescousse se nommait Halton Kennedy. Il mit 36 heures à remettre tous les équipements sur les rails. Peu de temps après, Kennedy devint ingénieur sur la ligne de Hemmingford où il demeura pendant 12 ans. Il disait qu’il avait appris à composer avec l’enneigement alors qu’il était chauffeur pour un ingénieur de longue date.

La compagnie mit fin au service de passagers en 1956 et les locomotives à vapeur furent remplacées par des locomotives Diésel. Le service de marchandises fonctionna de façon sporadique durant les 10 années suivantes. Le 14 octobre 1966, Bill Baillie ferma la porte de la station pour la dernière fois. À la suite de cette fermeture, le chemin de fer de Hemmingford fut vite démantelé.