Les feux du parlement

par Mary Ducharme, traduction : Mario Leblanc  (août 2017)

L’Hôtel du Parlement à Montréal, premier parlement canadien, a brûlé le 25 avril 1849. L’incendie a été provoquée par des émeutiers qui voulaient protester contre la loi d’indemnisation pour le Bas-Canada : indemnisation pour ceux qui avaient perdu leurs propriétés lors de la Rébellion de 1837. Il y eût plusieurs émeutes organisées par les tories. Le soir de l’incendie, les protestataires lancèrent des projectiles aux parlementaires et la nuit venue, ils envahirent le parlement, saccagèrent la salle de l’assemblée législative ; la destruction des conduites de gaz provoqua plusieurs incendies. Suite à cet incident, les sessions du gouvernement alternèrent entre la ville de Québec et Toronto, les tensions anglo-franco étant trop fortes à Montréal.

L’incendie au Parlement de Montréal – 1849 Archives Publiques de Canada

Après plusieurs débats enflammés entre les diverses factions pour déterminer le lieu permanent pour le gouvernement, on demanda à la Reine Victoria de prendre la décision: elle choisit Ottawa. Ottawa (originalement Bytown), dont la ligne de chemin de fer qui le reliait à Prescott, dès avril 1855, représentait un potentiel énorme au niveau des transports, était suffisamment éloigné de la frontière américaine pour prévenir toute attaque surprise, sans oublier sa position défensive par excellence au sommet d’une colline surplombant la rivière des Outaouais. De plus, Ottawa représentait le pont idéal entre les Canada anglais et français. Néanmoins, il y avait des villes plus grandes et plus développées, et Joseph Howe, surpris et en colère, décrivit Ottawa comme une minable ville de bûcherons et il n’était pas le seul à penser ainsi! Pendant ce temps à Ottawa, on envisageait l’avenir avec beaucoup d’optimisme!

La Reine Victoria déclara que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, qui permit la création de la Confédération Canadienne, entrerait en vigueur le 1er juillet 1867. Le Canada est un nouveau pays qui remplace la Province du Canada ou Canada-Uni. Certains historiens hésitent à qualifier la Reine Victoria de « mère de la confédération », surtout qu’elle n’a pas daigné en parler dans ses mémoires, mais elle a joué un rôle important de soutien pour le développement du Dominion du Canada, en réunissant des personnalités politiques des colonies britanniques nord-américaines loyales à la Couronne. Elle aurait déclaré à une délégation de la Nouvelle-Écosse en visite à Londres qu’elle prenait à cœur la confédération et qu’elle rendrait les provinces riches et prospères.

Construction d’édifice Parlement 1863
Archives Publiques de Canada

La construction d’un édifice du parlement qui exprime les grandes aspirations d’une nouvelle nation n’allait pas de soi. Dans un concours tenu en 1859, 298 projets furent soumis; tous les styles architecturaux étaient représentés! Le style néo-gothique fut choisi parce qu’on jugeait qu’il représentait idéalement la démocracie parlementaire. On confia l’édifice du Centre, qui inclût la Bibliothèque et la Tour Victoria, à Thomas Fuller et Chilion Jones, et les édifices est et ouest à Thomas Stent et Augustus Laver.

Les travaux de construction débutèrent le 20 décembre 1859 et le futur roi Edouard VII posa la pierre angulaire. La colline nommée « Barrack Hill » est devenue le site du plus grand projet de construction en Amérique du Nord. Les travailleurs ont même dû utiliser des explosifs pour creuser le roc et compléter les fondations.

Les travailleurs ont vraiment souffert sur le chantier avec la chaleur en été, le vent et la neige et les échafaudages glacés en hiver. Les journées commençaient à 5h et se terminaient à 20h avec des arrêts de 30 minutes pour le dîner et le souper. Ils étaient payés 1$ par jour, la moitié pour les femmes et les enfants; les plus qualifiés pouvaient obtenir jusqu’à 3$. Plusieurs travailleurs sont décédés sur le site mais tous ceux qui auraient eu l’idée de porter plainte à cause des conditions difficiles ou qui ne se seraient tout simplement pas présenté au travail risquaient la prison, gracieuseté de l’employeur! Même si les syndicats étaient considérés comme illégaux, plusieurs grèves ont ralenti la construction.

Des mauvaises gestions ont entravés les travaux. Une somme astronomique de presqu’un million et demi de dollars a été engloutie uniquement pour la phase initiale de la construction. On a même interrompu les travaux le temps qu’une commission fasse enquête. Les travaux ont finalement repris et les parlementaires ont pu commencer à occuper les lieux en 1866.

Le 7 novembre 1867, l’inauguration du premier parlement du Dominion du Canada s’est faite en grandes pompes. Une énorme foule s’est rassemblée devant le Parlement, contrôlée par plusieurs rangées de soldats. À l’intérieur, le gouverneur-gé- néral Monck a lu le premier Discours du Trône avec à sa droite le premier Premier Ministre, John A. Macdonald, resplendissant dans son « costume de cour ». En septembre, il avait remporté avec une majorité écrasante l’élection fédérale-provinciale. Dans la foule, une délégation anti-confé- dération de la Nouvelle-Écosse avait moins le cœur à la fête. Il se déroulera encore plusieurs années avant que le rêve d’ « un océan à l’autre » se concrétise, mais le travail de création d’une nation était bel et bien amorcé …

Un soir de février 1916 vers 20h, un feu s’est déclaré dans la salle de lecture de la Chambre des Communes. On était en pleine session parlementaire et l’édifice était rempli. Comme il ventait fort, les flammes et la fumée se répandirent très rapidement dans les corridors rendant la fuite malaisée : sept personnes ont perdu la vie. Peu après minuit, la cloche de la Tour Victoria s’effondre. Le lendemain matin, il ne reste que les murs extérieurs de l’immeuble, couverts de glace, et des décombres toujours la proie des flammes. La seule bonne nouvelle : la Bibliothèque du Parlement a été épargnée. Il y eût des rumeurs à l’effet que l’incendie aurait été provoqué par des agents allemands et 1200 soldats montèrent la garde sur les ruines toujours fumantes. Toutefois, on décréta plus tard que l’incendie fut accidentel. (En 1952, un incendie causée par des fils électriques défectueux aurait pu détruire l’inestimable collection de la Bibliothèque Parlementaire : il fut heureusement maîtrisé rapidement).

Malgré les épreuves et les difficultés financières d’une guerre en cours, la reconstruction fut rapidement entreprise par la pose de la pierre angulaire, retrouvée dans les décombres, par le Duc de Connaught, 56 ans après que son frère, Edouard VII l’ait fait. La nouvelle tour est devenue la Tour de la Paix en 1927 en l’honneur des victimes de la Première Guerre Mondiale.

Édifice central du Parlement – Source : Wikipedia

En 2002, on a commencé un vaste programme de rénovation du Parlement, en particulier l’édifice Est qui avait besoin de soins au niveau de la maçonnerie, des fondations et des fenêtres. Au fil des ans, les améliorations ont rendu les édifices du Parlement plus sécuritaires : le marbre et le plâtre ont remplacé le bois, les diverses sorties sont plus faciles à trouver, on a ajouté des gicleurs et on a renforcé la sécurité des divers accès.

La Colline Parlementaire a été l’hôte de plusieurs événements importants : la visite du Roi George et la Reine Élizabeth en 1939, la première fois qu’on a hissé le nouveau drapeau du Canada en 1965, le centenaire de la Confédération en 1967. Mais elle n’est pas uniquement le théâtre de jeux de pouvoir, de célébration avec des feux d’artifices et de patriotisme. La Parlement d’Ottawa est comme une terre sacrée et toute menace nous touche profondément. L’illusion de sécurité que nous avions en Amérique du Nord s’est évaporée avec 9-11, mais notre besoin de vigilance était présent depuis longtemps. En 1989, un autobus Greyhound a été détourné sur la pelouse de l’édifice du Centre; en 1996, un automobiliste a foncé sur les portes de ce même édifice. Tout récemment, un soldat de l’Armée Canadienne qui agissait comme garde devant le Musée Canadien de la Guerre a été victime d’une fusillade.

Le Canada est une nation relativement jeune, et face aux conflits internationaux auxquels nous sommes confrontés, il est réconfortant d’avoir des symboles typiquement canadiens qui, au fil de notre histoire, nous aident à affronter un futur incertain.