Les filles du roi et les mères fondatrices

par Mary Ducharme, traduction Chantal Lafrance (édition août 2014)

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Cette peinture (courtoisie des Archives publiques du Canada) montre l’arrivée des filles du roi avec des coiffures et des vêtements élégants et les représentants du roi qui les saluent avec la même élégance. Les robes faisaient partie de la dot offerte par le Roi, et il est intéressant de noter combien les femmes firent d’efforts pour conserver cette apparence durant ce long voyage en mer.

En 1663, près de 800 jeunes filles catholiques françaises vinrent en Nouvelle-France sous la tutelle du roi Louis XIV pour remédier à une pénurie de population. Il y avait alors moins de 5000 personnes au Québec à cette époque et un taux élevé de ces gens étaient des célibataires. En 1669, l’intendant Jean Talon établit des lois sévères pour les gens demeurant célibataires en les privant de leurs droits de pêche, de chasse et de commerce des fourrures.

Les filles du roi avaient une chose en commun : elles étaient pauvres. À Paris, elles étaient itinérantes ou bien orphelines, ou du diocèse de Rouen, ou elles provenaient de familles désirant se débarrasser d’elles. La campagne de promotion mise sur pied pour recruter des épouses en Nouvelle-France est probablement apparue comme un miracle pour ces filles, même si cette avenue comportait des risques. Le libre passage vers la Nouvelle-France, des habits, une dot de la part du Roi et un mariage presque certain avec l’homme de son choix: pour les quelques 800 orphelines, cela apparaissait irrésistible. Mais toutes devaient passer par un processus de sélection mené par les services maritimes qui incluait un certificat de naissance et une recommandation d’un prêtre parisien comme quoi chaque fille avait bon caractère et était célibataire. Le critère le plus important était d’avoir une bonne santé.

Après leur arrivée dans la ville de Québec, les femmes étaient logées dans des maisons-dortoirs supervisées par des chaperons ou des religieuses et, de là, certaines étaient dirigées vers d’autres régions du Québec, dont Montréal. La religieuse la plus célèbre qui s’est occupé de ces filles est Marguerite Bourgeoys de la congrégation de Notre-Dame. Elle a été une conseillère pour ces jeunes femmes qui s’intégraient dans un environnement inconnu.

Les prétendants se pointaient, avec un chaperon, et chacun rencontrait les filles avec sa propre idée de ce qu’il attendait d’une épouse: une paysanne bien en chair qui pouvait manier une charrue et travailler fort aux champs et dans les bois. Qu’elle ait une apparence physique ingrate ne le dérangeait pas. Si elle était instruite, elle pourrait aider à mener une entreprise ou composer avec les questions juridiques. Il ne préférait pas la fille de la ville qui était certes beaucoup plus jolie, mais certainement plus pointilleuse et moins bien préparée à la vie dure dans un climat sévère.

dowry-trunkDe son côté, la future mariée pouvait refuser les offres de mariage, et ses décisions étaient basées sur les réponses de son prétendant à des questions-clés. De quoi a l’air ta maison ? Es-tu propre de ta personne? As-tu un lit et des couvertures? Combien d’argent as- tu? Quelle est la grandeur de ta propriété ? Alors que des questions semblables pouvaient empêcher le mariage à venir, les femmes ne refusaient pas une offre de mariage à la légère: qui aurait voulu être la risée en passant de “fille du roi” à “vieille fille”?

Lorsque les conditions du mariage convenaient aux deux partis, le couple se présentait devant un notaire où un contrat de mariage était signé et, un mois plus tard, il y avait le mariage à l’église. En récompense, le couple recevait des animaux et des denrées comme un couple de volailles, des cochons, un bœuf, une vache et deux barils de viande salée. Les incitatifs à avoir de grosses familles étaient alléchants: une pension annuelle de 300 livres pour les familles de 10 enfants et de 400 livres pour celles de 12 enfants et plus.

La plupart des femmes étaient enceintes dans l’année suivant le mariage et, avec le temps, les familles de 10 à 16 enfants devinrent monnaie courante. En 1760, la population de la Nouvelle-France comptait 70 000 personnes avec un ratio homme-femme équivalent. Aujourd’hui, la plupart des familles françaises de notre région peuvent fièrement retracer leur filiation matriarcale jusqu’aux filles du roi, et, dans les faits, il y a des millions de descendants de ces femmes en Amérique du Nord.

Une excellente référence sur les filles du roi est celle de Pierre J. Gagné intitulée Les Filles du Roi et les mères fondatrices: les Filles du Roi de 1663-1673. Le livre regroupe deux volumes qui contiennent les biographies des 800 filles et femmes.