Créons des ponts – juin 2021

Des masques pour contrer l’indifférence par Pascale Bourguignon  (juin 2021)

. . . Mon masque ressemble à une planète ronde qui flotte en silence. Elle est seule dans la galaxie et regarde les étoiles. Ce masque représente aussi mes émotions. Beaucoup d’émotions différentes, la confusion, la tristesse, la joie, la surprise . . . Ce sont les mots de Kate, une jeune adolescente Mexicaine récemment arrivée au Québec. Elle nous explique la signification du masque créé à l’occasion de l’atelier : des masques pour contrer l’indifférence.

Je m’appelle Pascale Bourguignon, je suis une artiste en arts visuels habitant à Havelock. Impliquée dans “Créons des ponts ”, un rassemblement de citoyens concernés par le sort des réfugiés passant la frontière sur le chemin Roxham, à Lacolle, j’ai décidé de mettre à profit mon savoir-faire pour faire entendre les voix des plus jeunes, ceux qui suivent leur famille et qu’on écoute rarement.

En 2019, j’ai animé des ateliers artistiques pour les jeunes réfugiés résidant à Montréal (l’école Georges Vannier et La Maisonnée). L’idée était simple. Permettre à des adolescents nouvellement arrivés de s’exprimer et de raconter leur histoire ou leur ressenti à travers la confection de masques en papier mâché. Ces masques leur garantissaient à la fois visibilité et anonymat, répondant en cela au désir antagoniste de s’exprimer et d’être entendus sans pour autant se mettre de l’avant ou révéler leur identité.

Ces jeunes entre 12 et 16 ans étaient issus de 9 pays différents, Viêtnam, Algérie, Brésil, Guinée, Haïti, Mexique, Sénégal, Palestine et Syrie. Tous ne se connaissaient pas, mais la réserve et la timidité des premières heures ont vite fait place à l’enthousiasme et à la créativité. Au fil des sessions, les échanges se sont faits en français, en anglais, mais aussi dans différentes langues ou chacun enseignait à l’autre un mot de son pays ou une expression qui déclenchait des questions, des rires et des commentaires permettant de dédramatiser certains vécus.

Leurs parents étaient en attente des papiers leur permettant de s’installer au Québec, mais ces jeunes avaient déjà de nouveaux amis, ils étaient confrontés à de nouvelles coutumes qui les amusaient, les interrogeaient, mais qu’ils embrassaient tout naturellement. Leur connaissance de la langue française était étonnante dans des délais si courts, et ils étaient capables d’exprimer des idées complexes. Lorsque les masques ont été terminés, nous les avons fait travailler sur des petits textes expliquant leurs démarches.

Je vous en propose quelques extraits :

Fatou : Sénégal
Mon masque a deux parties. La partie colorée représente ce que je sais de moi, ici et maintenant. L’autre partie représente ce que je ne sais pas encore de moi. La partie que je connais est plus grande que l’autre, il y a beaucoup de choses et de couleurs différentes, de la confusion, de la peur, de la curiosité… L’autre partie est noir parce qu’elle est encore secrète.

Hatem : Syrie
Je n’ai pas pu finir mon masque ou le faire comme je le voulais.J’ai commencé, mais j’ai pas pu le finir. Il n’a pas de yeux mais deux montagnes sur le visage, les grandes montagnes de chez moi. J’ai fait des couleurs mais elles me plaisaient pas , alors j’ai mis du blanc pour changer , mais c’est flou. Tout est flou, c’est difficile de faire ce masque. Mes amis ont fait aussi des cornes et utilisé les mêmes couleurs. Moi, j’ai voulu faire comme eux après j’ai tout voulu changer. Je ne sais pas encore comment faire mon masque à moi.

Alimou : originaire de Guinée
Pour mon masque j’ai fait le visage de Black Panthère, le superhéros. J’aime beaucoup les super-héros, mais celui-là, c’est mon préféré. C’est le seul que je connais qui a la même couleur de peau que moi et qui se bat pour la justice de l’Afrique. Il est fort et courageux . Il a des cicatrices blanches sur le visage parce qu’il s’est beaucoup battu et de la lumière sort de ses cicatrices. C’est sa force. J’aime beaucoup mon masque.

Les masques ont été exposés dans le cadre de l’événement Cuisine ta ville, proposé par L’ATSA (quand l’art passe à l’action), du 9 au 12 mai 2019. Ils étaient accompagnés de textes que l’on peut consulter sur le blog des ateliers : projet-masques2019.blogspot.com. Ces masques et leurs textes ont profondément touché le public.