Créons des ponts

par Denis Bouchard  (décembre 2024)

Depuis la fermeture dramatique du chemin Roxham à minuit le 24 mars 2023, l’entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) s’applique désormais à l’ensemble de la frontière entre les États-Unis et le Canada. Depuis, notre groupe Créons des ponts (Bridges not Borders) est toujours actif (site web, réunions transfrontalières, médias) mais nos activités ont diminué avec la fermeture de Roxham. Comment ces changements nous ont-ils affectés, nous qui habitons à coté de la frontière?

Premièrement, les entrées irrégulières à Roxham ont cessé complètement. La majorité des personnes qui demandent l’asile au Canada à la frontière terrestre se rendent maintenant aux points d’entrée officiels. Environ un tiers d’entre elles se voient refuser l’entrée et sont renvoyées aux É-U.

Autre changement, l’Ontario reçoit désormais plus de demandeurs d’asile que le Québec (77 405 contre 49 635). Le nombre de demandeurs d’asile en Colombie-Britannique et en Alberta a aussi augmenté significativement (plus de 7 000 dans chaque cas). Le Québec ne reçoit donc plus une part démesurée des demandeurs d’asile.

Il y a encore des gens qui passent ailleurs qu’à des points d’entrée officiels. Mais le nombre d’interceptions à la frontière est très bas comparé aux milliers de personnes qui entraient à Roxham. De janvier à octobre 2024, seulement 393 personnes ont été interceptées par la GRC au Québec. La Colombie-Britannique a connu un plus grand nombre d’interceptions, soit 449.

Le passage de migrants par les bois affecte personnellement plusieurs d’entre nous qui vivent près de la frontière. Les gens trouvent des vêtements et des sacs à dos sur leur propriété. Ces objets personnels nous font sentir la vulnérabilité de la personne qui est passée là. On n’est plus devant une vague statistique mais en présence d’une personne en détresse. Et que faire si on rencontre une personne désemparée, mal en point? A-t-on le droit d’intervenir ? Que dire à son enfant s’il est témoin d’un couple et de ses enfants qui se font arrêter sous nos fenêtres, menottés et poussés dans un véhicule de police?

La GRC demande de les contacter si nous voyons un inconnu marcher sur la route. Mais ça mène vite à des excès. Une habitante a été arrêtée alors qu’elle se promenait sur Covey Hill avec deux membres de sa famille. Quelqu’un les avait dénoncés à la police ! Les personnes originaires du Mexique et du Guatemala qui travaillent dans une entreprise de Covey Hill sont régulièrement interceptées et interrogées par la GRC. D’autres expériences personnelles vécues par nos membres seront présentées sur notre site web d’ici peu (http://www.bridgesnotborders.ca/blog).

Certains craignent de rencontrer des étrangers sur leur propriété. Les personnes qui risquent leur vie pour venir au Canada ne sont pas une menace. De 2017 à 2023, des membres de Créons des ponts ont rencontré des centaines de migrants. Ces gens recherchent la sécurité, pas la confrontation. D’ailleurs, aucune agression par des migrants n’a été signalée le long de la frontière. Par contre, dans les dernières années, plusieurs personnes sont mortes en essayant de traverser la frontière. Avec l’hiver qui arrive, les risques augmentent. Nous n’avons pas peur d’eux mais pour eux.

L’élection de Donald Trump affecte aussi la frontière. Nous craignons que son discours et ses politiques haineuses envers les migrants aient un effet négatif sur la politique et les attitudes au Canada. Nos politiciens vont-ils se mettre à surenchérir leurs critiques des migrants?

Nos collègues des É-U s’inquiètent des plans de déportation de Trump. Des familles, des communautés et des entreprises pourraient être déchirées. Quelque 4 millions d’enfants américains vivent dans des familles dont un ou deux parents sont sans papiers. Qu’adviendra-t-il d’eux?

La crise des réfugiés est mondiale et concerne les personnes qui fuient la violence, les catastrophes naturelles et les guerres. Comme l’a souligné Claudia Sheinbaum, la présidente du Mexique, dans un appel téléphonique à Trump, la solution “ n’est pas de fermer les frontières, mais de construire des ponts entre les gouvernements et entre les peuples.” Elle a fait valoir que les embargos et les sanctions contre des pays pauvres ont un impact direct sur les citoyens et alimentent les migrations massives. Il faut s’attaquer aux causes profondes de la migration. Nous avons la chance de vivre dans un pays riche et sécuritaire : il faut investir dans des programmes de développement pour donner la même chance à d’autres. C’est beaucoup moins cher que de militariser la frontière, et bien plus efficace et humain.

À Créons des ponts, nous souhaitons que des solutions en ce sens seront adoptées et que nous n’aurons pas de nouveau à notre frontière des gens désemparés et désespérés.