Des charrues et des épées
par Mary Ducharme (traduction : Jean-Jacques Bourgeault) (octobre 2021)
La guerre de 1812 n’a pas été menée dans une contrée lointaine. On s’est battu ici, dans nos propres villages, dans les champs, les basse-cours et près des cabanes et des habitations des nouveaux colons. Il n’est pas surprenant que, pour les fermiers vivant près des frontières, les risques de désertions et de refus de servir dans l’armée régulière, ou même dans les milices volontaires, en valaient la peine. Les allégeances et la loyauté à la famille primaient. Le risque était grand. Si un homme était capturé et accusé de désertion ou de trahison, on pouvait le tirer a vue, le pendre, ou le jeter en prison où il risquait de geler, d’être affamé ou d’attraper une maladie mortelle.
Des affiches offraient des primes de vingt dollars en or ou en argent contre la capture des déserteurs. C’était plutôt tentant et n’encourageait certes pas la confiance parmi les voisins. Lors d’un incident, un homme de Lacolle a capturé un déserteur et s’apprêtait a le livrer aux autorités pour réclamer sa prime. Le prisonnier, monté sur un cheval derrière lui, s’est servi d’un couteau pour défaire ses liens et l’a aussitôt plongé dans les tripes de son geôlier pour s’enfuir et passer la frontière.
On s’attendait bien sûr à des attaques odieuses sur la vie et la propriété de la part des ennemis, mais les relations entre les citoyens et des troupes locales des deux côtés de la frontière ont aussi souvent été déplorables . Les poules, les porcs, les vaches étaient volés et dévorés, les boeufs et les chevaux utilisés comme bêtes de somme; les grains et le fourrage accumulés servaient à nourrir les chevaux des militaires. On supposait généralement que les officiers empochaient les sommes destinées à compenser les fermiers. Cela ne servait qu’à remplir leurs poches bien profondes et n’encourageait certes pas au patriotisme et à la loyauté. Malgré l’impopularité de la guerre, un aspect particulier avait la faveur des population: la collusion avec l’ennemi. Les barils de whisky de dix gallons passaient en contrebande vers le sud et du boeuf américain était clandestinement livré au nord. Les combattants étaient satisfaits: les américains avaient de l’argent et du whisky, les contrebandiers canadiens gagnaient de l’argent et les soldats anglais étaient bien nourris. A Montréal, on accumulait des fortunes en vendant du bois en Angleterre pour l’entretien de la flotte britannique, mais le Parlement a failli à protéger ces ressources et d’un point de vue américain, Montréal est devenue convoitée. Pour le président américain Madison, pour conquérir l’Amérique du Nord britannique, il ne suffisait “que de marcher.” Le major-général Henry Dearborn a monté un plan d’attaque pour conquérir Montréal mais a dû l’annuler, entre autre parce que les miliciens refusaient de franchir la frontière canadienne et de tirer sur des gens qu’ils connaissaient bien. Il a plus tard recruté des hommes venant du sud qui n’avaient pas ces scrupules.
Des colons ont été impliqués dans un système d’espionnage mis sur pied par les britanniques. En octobre 1813, les frères Jacob et David Manning étaient prisonniers du général américain Hampton. Les Mannings étaient des coureurs des bois talentueux et connaissant bien le territoire qui fournissaient aux britanniques de précieux renseignements sur les mouvements de troupes américaines. Le général Hampton a tenté de persuader David de monter son cheval noir, de galoper jusqu’à Montréal et de lui faire rapport sur l’importance des défenses de la ville. Malgré la prime qui lui était offerte, David refusa. Hampton, furieux menaça les frères de la prison militaire et les assigna, sous surveillance, à une écurie crasseuse. Leur gardien, un voisin et ami, les laissa s’échapper.
Amasa Wood n’avait que 19 ans quand lui et son père Solomon refusèrent la conscription et l’allégeance au roi d’Angleterre. En guise de punition, leur propriété à Hemmingford, qu’ils habitaient depuis 1801, fut saisie et on les força à quitter. Solomon n’était pas un lâche, il avait été capitaine dans l’infanterie lors de la révolution américaine. Quand ses terres furent confisquées, lui, sa femme, et ses deux enfants s’installèrent dans leur ancienne propriété à un demi-mille au nord de Chazy Landing. Son gendre, William Laurence, n’avait pas déménagé à Hemmingford avec les Wood, mais il partageait leur aversion pour la guerre.
En septembre 1814, avant la bataille de Plattsburgh, les soldats britanniques se sont offerts un banquet extérieur à Chazy Landing et ils ont invité William Laurence à porter un toast. Il a choisi la citation célèbre d’Isaïe 2.4: “et il jugera parmi les nations et réprimandera plusieurs; et ils transformeront leurs épées en socs de charrues et leurs lances en ébranchoirs; une nation ne portera l’épée contre une autre nation ni ne fera plus l’apprentissage de la guerre.” Les fermes étaient devenues des scènes de destruction pendant la guerre. Voici les maisons des hommes forcés au service militaire, laissant femmes et enfants sans protection. (Illustration: Site Access Heritage) Après la bataille, les britanniques battirent en retraite vers le nord apportant avec eux deux boeufs de Laurence. Il a alors chargé son fils Putnam qui n’avait que 13 ans, de suivre les soldats qui traversaient la frontière et de ne pas revenir sans les bêtes. Putnam est revenu avec les animaux et fut traité en héros pour les avoir récupérés des mains des britanniques même s’il les avait probablement trouvés broutant au pâturage. (r. / bb)