La voix de Sellar à notre époque
Par Mary Ducharme, traduction Chantal Lafrance (août 2015)
Fondé en 1865, et ayant eu durant 57 ans Robert Sellar comme dirigeant, le journal Canadian Gleaner avait une vocation locale, nationale et diffusait aussi des informations internationales. Sellar diffusait ouvertement des préjugés de son époque, le 19e siècle; bien que certains l’aient considéré comme un grand parleur ne connaissant pas ses sujets ou comme un bigot, il reste que l’histoire et les points de vue des anglophones du Québec font partie des écrits de la province. Ses sujets favoris incluaient les grands débats de l’époque, à savoir ceux sur la formation du Canada telle que nous le connaissons. Il y a avait aussi les controverses piquantes sur la construction du chemin de fer transcanadien, ainsi que les délibérations parlementaires sur le contrôle de la contrebande d’alcool. Les écrits de Sellar ne donnaient pas dans le style moderne modéré et « politiquement correct », mais étaient présentés avec passion et détails.
Lire Sellar est impossible sans dresser de comparaisons avec notre époque moderne. Il semble que l’histoire n’est pas que “du passé”. Entre les multiples comparaisons que nous pouvons établir entre les deux époques, il y en a deux exemples ici tirés des articles de Sellar dans les décennies 1870 et 1880.
Les troubles à Oka
À cause des restrictions sur l’utilisation de leurs terres ancestrales, une autre oppression, les Indiens d’Oka ont froid et sont affamés. Ils ont été arrêtés pour avoir planté des clôtures autour de leur bétail, pour avoir coupé du bois et utilisé la terre sur laquelle ils habitent. Lorsque le temps est froid, l’école la semaine et l’école du dimanche sont fermées pendant des semaines, parce que les enfants n’ont pas de vêtements chauds pour s’y rendre. Les Indiens d’Oka ont exprimé leur colère et leur frustration en incendiant une église et plusieurs ont été arrêtés. Le Procureur de la Couronne a affirmé que “…ils (les Indiens) sont anxieux d’aller en prison, alors qu’ils y seront mieux logés et nourris qu’à Oka”. Le gouvernement affirme que les terres seigneuriales ont été surexploitées pour le bois de chauffage et que cette surexploitation doit cesser. Les 73 familles de la tribu, toutes protestantes, ont été avisées de rendre 2500 acres de leurs terres, leurs maisons et leurs biens pour la somme de 20 000$ — qui leur sera octroyée par un Séminaire catholique.
Pour ajouter à leurs malheurs, le gouvernement a offert à la communauté d’Oka une île sans valeur au Lac Huron, à des miles de leurs terres. Les 20 000$ ne pourront pas servir à couvrir les frais du voyage et à construire des logements tant que les Indiens ne seront pas établis sur l’île. Ils ont refusé l’offre.
Sellar rapporte une situation semblable dans laquelle Julius Scriver défend les terres indiennes à Dundee, situation dans laquelle le gouvernement renie un bail de 999 ans, laissant les membres de la tribu sans place où aller. Les fermiers blancs du voisinage souhaitent pren- dre possession de ces terres, car ils sont, de leurs dires, “de meilleurs fermiers et de meilleurs voisins” que les Indiens.
Les abus en milieu de travail
En 1878, Sellar rapporte une horrible nouvelle de London, en Ontario, où des enfants et des jeunes femmes ont été torturés dans une usine des propriétaires Jarvis et Hargreaves — il ne s’agit pas d’incidents isolés, mais bien d’abus étalés sur des années. Deux victimes ont finalement poursuivi les propriétaires en justice. Annie Spark a été détenue dans une pièce noire, muselée, avec les poignets attachés avec des lanières de cuir. Elle a été battue à coups de bâton, ligotée avec une corde et tirée par les pieds pendant des heures durant quatre jours. La punition était pour avoir parlé de religion au travail. Un garçon portant le nom de McGoey a été déshabillé et forcé de se tenir sur la pointe des pieds et de se pencher ensuite jusqu’à ce que son nez touche le plancher. S’il trébuchait, il était battu avec une lanière de cuir et cela s’est produit plus d’une centaine de fois. La punition servait à corriger des actes insignifiants de désobéissance.
En 1883, un billet parlementaire empêchait le travail des enfants en bas de 12 ans dans toute usine ou manufacture; par contre, un en- fant de 12 à 15 ans pouvait travailler sans problème 60 heures par semaine. De plus, si un commerce, pour des raisons inévitables, ne pouvait livrer la marchandise sans faire d’heures supplémentaires, les femmes et les enfants étaient autorisés, dans ce cas spécifique, à travailler 72 heures par semaine. Il devait cependant y avoir des toilettes que ces derniers pouvaient utiliser et de la ventilation, et les machines dangereuses devaient être sécurisées et des sorties de secours aménagées.
Des commentaires étaient faits non seulement sur les employeurs despotiques, mais sur les parents cupides et avides d’argent qui faisaient travailler leurs enfants de 6h du matin à 6h du soir en ne leur fournissant qu’un simple lunch.