Le lac du milieu
par Mary Ducharme traduit par Yvon Paquette (revisé par Mario Leblanc) (juin 2021)
À Paris en 1609, Samuel de Champlain alluma une autre bougie dans la chambre assombrie. Après avoir trempé sa plume dans l’encrier, le grattement de la plume sur le parchemin se poursuivit. Sur une table tout près se trouvaient des cartes illustrant ses expériences dans le Nouveau Monde. Sur les cartes, plusieurs noms, aujourd’hui oubliés indiquant différents endroits. Un de ces noms est Bitawbagok, terme abenaquis signifiant “le lac du milieu”. Il représente un lac de 172km de long auquel il donnera son nom : le lac Champlain. D’un côté, il y a les Montagnes Vertes et de l’autre les Adirondacks, nommées en hommage à la nation algonkine. Au nord se trouve la baie Missisquoi, terme abénaquis ayant diverses significations. La rivière Iroquois sur la carte est aujourd’hui connue comme rivière Richelieu.
La passion de Champlain pour la Nouvelle-France était considérée comme une chimère par certains mais il avait la réputation que ses idées se transformaient en actions. Son projet promettait une richesse en fourrures et poissons. Le roi Henri IV partageait cette passion mais à un niveau différent : il imaginait un royaume agrandi, un nouveau système féodal et une échelle des classes graduée du haut vers le bas. Malheureusement, il fut assassiné en 1610 et sa veuve, Marie de Médicis, qui n’appréciait pas que Champlain se prétende ami du roi, lui coupa sa rente annuelle : un coup dur pour ses finances. Heureusement, ses supporteurs étaient prêts à prendre des risques financiers pour lui fournir des navires pour son projet. Ce qui était important pour Champlain était la coexistence pacifique de différentes cultures, un commerce prospère, la propagation de la foi catholique, explorer et cartographier le Canada. Il fit la promotion de ses idées en France mais il confia dans ses écrits que d’imaginer et discuter autour d’une table n’était point comparable à la découverte sur place en apprenant de ceux qui y sont nés.
Les membres des tribus croyaient en la signification des rêves et on demandait souvent à Champlain si il rêvait à ses ennemis. Il essayait toujours de répondre de façon à ne pas les encourager. Il raconta qu’une nuit il avait rêvé qu’il voulait sauver hommes, femmes et enfants ennemis qui étaient en train de se noyer. Son interprète iroquois lui dit qu’il n’avait qu’à les laisser mourir puisque que c’était tous des bons à rien!
Transportons nous à Paris, dans une pièce pleine de manuscripts et de cartes géographiques. Deux gentilshommes demandent à Champlain d’être leur émissaire : ils sont prêts à fournir les fonds mais ne veulent pas traverser l’océan vers cette “terre de sauvages”. Suite à une longue conversation avec eux, il leur raconta une histoire qu’il venait d’inscrire dans son journal dans laquelle lui et ses partenaires, Hurons et Algonquins, combattent des Mohawks et des Iroquois. Champlain fascina les deux hommes lorsqu’il raconta, avec illustrations et cartes, qu’avec un tir de son arquebuse, il tua deux chefs et en blessa un troisième. Il tira de nouveau, dans un nuage de fumée blanche puis deux arquebusiers français apparurent, s’agenouillèrent et tirèrent à leur tour. “Lorsque je vis qu’ils se préparaient à nous lancer des flèches, je levai mon arquebuse et je visai un des trois chefs. Deux d’entre eux s’écroulèrent et le troisième fut blessé grièvement et mourut peu après.” Il ajouta que les Iroquois furent grandement surpris de voir ces deux hommes mourir instantanément alors qu’ils portaient un genre d’armure anti-flèche fabriquée avec des morceaux de bois reliés par des fils en coton. Ils n’avaient jamais été confrontés à ces armes terribles et s’enfuirent sans demander leur reste.
Champlain leva fièrement son verre de bière et déclara qu’il avait nommé l’endroit précis où avait eu lieu cette bataille “Lac Champlain”.
L’histoire de l’arquebuse est prise de Voyages de la Nouvelle France, par le Sr. de Champlain Paris MDC.XXX, Anno 1609. La source est The Documentary History of the State of New York, par E.B. O’Callaghan, M.D. Albany. Vol. III, pp. 1-24, Weed, Parsons, & Co. Public Printers, 1850.