Le vieux drapeau orange de Hemmingford

par Mary Ducharme (traduction par Yvon Paquette) (février 2020)

La loge orangiste loyale 69 (Loyal Orange Lodge 69) était un bâtiment en ruines, avec des morceaux de peinture blanche collés sur du bois pourri, lorsque je l’ai vue pour la première fois. Les cheminées de briques s’effritaient et les fenêtres étaient scellées de planches de bois. Du côté du Vieux Chemin se trouvait une pancarte : ¨Hemmingford LOL 69¨. On m’avait informé que la loge Victoria avait été construite en 1860 par des protestants venus d’Irlande, la même année que le Prince de Galles avait posé le dernier rivet du pont Victoria.

Débarrant la loge, avec l’ancienne clé, semblait être un débarrage étrange du temps. Les murs de l’entrée étaient pleins de graffiti, signatures des ancêtres actuels de Hemmingford.

La salle était habitée par des témoins silencieux: quelques tables et chaises sales et un podium. Sur le mur arrière, un carré de couleur: une bannière de la Loge Orange qui a déjà été paradée et exhibée avec fierté. À son centre était un “King Billy” (Guillaume d’Orange) sur un cheval blanc, et sur l’envers, l’image de la Reine Victoria. Le drapeau était incrusté de crottes de chauve-souris et d’insectes et de vieille poussière; le tissu de soie était délicat et dans une condition de fragilité extrême. Sur un autre mur était un poster de la Loge Orange encadré de symboles semblables à ceux utilisés par les Francs-maçons.

Dans l’Irlande du nord, la Société Orange, secrète et assermentée, fut formée par des paysans en 1795. Leur radicalisme croissant allait de pair avec les éléments catholiques radicaux. Les loges étaient actives dans des défenses rurales telles que les “Peep O’Day Boys” qui combattaient la contre-partie catholique, les Défenseurs. La rivalité sectaire croissante à cette époque eut comme résultats la bataille du Diamant et des années de troubles civils.

Le conflit n’était pas nouveau. Une centaine d’année plus tôt, le catholique James II fut déposé du trône anglais par son gendre protestant, Guillaume d’Orange. Ayant mobilisé des forces en France, James revint en 1689 et, avec son armée jacobite, il assiégea Londonderry dans l’Ulster, une forteresse protestante. Durant le siège 4,000 protestants qui refusaient de se rendre moururent de faim et de maladie dans la ville. James finit par perdre le control de l’Ulster et se dirigea avec son armée vers Dublin.

Le 12 juillet 1690 les armées de Guillaume et James s’affrontèrent sur les rives de la rivière Boyne, au nord de Dublin, et Guillaume vaincut. Plus de 2,250 hommes périrent et la scène fut décrite par des témoins comme étant rouge du sang des hommes et des chevaux.

Un carnage horrible suscité par les envies de rois étrangers sur la petite île verte fut à la source du radicalisme qui infectait l’Irlande. La partie “loyale” de la Loge Orange était d’une loyauté féroce envers Guillaume, et toutes les choses anglaises. Dans l’Irlande du nord ce conflit du 17ième siècle résonne encore de nos jours. De l’autre côté de la rivière, les journaux montréalais du 19ième siècle rapportent des bagarres entre catholiques et protestants le long des rues lors des parades de la Saint-Patrice et du 12 juillet.

L’histoire fait toujours partie du cargo sur les navires d’immigrants. Beaucoup d’orangistes sont arrivés comme soldats durant la guerre de 1812, et comme réfugiés de la famine des patates. Dans ce nouvel arrangement il y avait la possibilité de posséder sa propre terre et de réussir en affaires; d’être enfin son propre maître. Quatre premiers ministres étaient orangistes: McDonald, Abbot, Bowell, et Diefenbaker.

Les recensements de 1870 révèlent que près d’un tiers de tous les mâles protestants au Canada appartenaient aux Loges Oranges. Les archives locales montrent qu’au sommet de l’orangisme à Hemmingford il y avait à peu près cent membres dans diverses loges. La plupart étaient fermiers ou propriétaires de petites entreprises. Robert Seller décrivit les orangistes comme de gros travailleurs, économes et bienveillants. Il était aussi orangiste.

Plus récemment les hommes se rencontraient “en secret” pour planifier leur philanthropie. Avant l’assurance sociale, les pensions de vieillesse, les programmes médicaux des gouvernements, et l’aide sociale, la Loge Orange aidait souvent à secourir les individus ou les familles dans le besoin. Un jeune homme qui avait une recommandation d’emploi de la part d’un orangiste avait de meilleures chances de trouver un emploi. La Croix Rouge et d’autres organismes charitables ont aussi bénéficié de leur générosité.

La Loge 69 a déjà été une scène populaire et très occupée par des évènements sociaux tels que des danses, des réceptions de mariages, et des pique-niques. Le drapeau et “King Billy” ont salué les soldats partant pour la guerre, et les ont salués de nouveau lorsqu’ils sont revenus à la maison.

Avec le décès des membres séniors, et le grand nombre de blessés de guerre, la Loge déclina et perdit de l’importance pour les jeunes gens. La Loge a retourné sa charte en 2008 et elle n’existe donc plus. Douglas Hadley est le dernier membre survivant des hommes loyaux de la Loge Victoria.