Naturel, mais pas un remède miracle

texte et photo : Norma A. Hubbard (traduction : Amelie Delisle Van Wijk) juin 2024

Souvent, lorsque je fais des recherches sur les plantes, je suis émerveillée par le fait que mes adelphes et moi ayons survécu à l’enfance, surtout lorsque l’on pense à toutes les plantes vénéneuses autour de nous. Nous nous baladions librement sur notre terrain, sans supervision, sans directives sur les plantes que nous pouvions toucher ou même manger. Malgré tout, il semble que les enfants ont un certain instinct, et nous évitions certaines plantes en pensant qu’elles pourraient être vénéneuses. Aussi, nous avions de la chance puisque notre mère adorait les trilles. Donc, pour la fête des Mères, nous lui faisions un joli bouquet de ces fleurs blanches au lieu d’une autre fleur blanche, tout aussi jolie : la sanguinaire (Sanguinaria canadensis L.) qui est vénéneuse.

Au printemps, avant que la canopée ne fasse de l’ombre dans la forêt, il est possible de trouver de nombreuses fleurs. Les sanguinaires poussent en abondance en mai. Comme son nom l’indique, cette plante semble « saigner ». Une sève rouge se trouve dans l’ensemble de la sanguinaire. Pour cette raison, même les feuilles, lorsqu’elles sont coupées, saignent. Ce phénomène est à l’origine du nom de la plante, Sanguinaria, un dérivé du mot latin sanguis qui signifie « sang ». La racine d’une sanguinaire est techniquement un rhizome, soit une tige souterraine. Les fleurs ne produisent pas de nectar, mais les abeilles les pollinisent puisqu’elles peuvent y recueillir du pollen. Si les abeilles ne les pollinisent pas, les sanguinaires s’autofécondent. Les graines sont couvertes d’une substance, nommée élaïosome, que les fourmis aiment manger. Les fourmis dispersent alors les graines, ce qui aide à la propagation des sanguinaires. Un plant prend deux à trois ans avant d’être suffisamment robuste pour produire des fleurs.

Cette plante est intéressante, car ses feuilles et ses fleurs se trouvent sur des tiges distinctes. Les feuilles agissent comme de petites couvertures la nuit, alors que chaque fleur se réfugie dans une feuille. Puis, la feuille s’ouvre avec la lumière et la chaleur du jour. Par temps nuageux, les fleurs restent cachées dans les feuilles, ce qui est ingénieux puisque les abeilles ne sortiront probablement pas. Les fleurs blanches peuvent sembler familières puisque la sanguinaire fait partie de la famille des papavéracées. Les sanguinaires sont éphémères et ont une courte vie. Elles ne fleurissent donc que pendant deux semaines environ avant de disparaître et de revenir au printemps suivant. Les sanguinaires se répandent facilement et poussent en grandes colonies dans les zones humides.

Lors de mes recherches sur les propriétés médicinales de la sanguinaire, j’ai d’abord trouvé plusieurs manières d’utiliser cette plante. En fait, certains usages semblaient tout simplement trop beaux pour être vrais. J’ai donc poursuivi mes recherches. Je n’étais pas surprise de trouver que cette plante a été examinée à plusieurs reprises au fil des ans, notamment par la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis. Récemment, la FDA a publié un avertissement au sujet du « baume noir » qui utilise la sanguinaire comme ingrédient naturel. Internet est rempli de recettes sur la manière de faire ce baume noir, et ce qui fait peur est que ces sites revendiquent les bénéfices du baume noir pour traiter les grains de beauté et les acrochordons… et même guérir un cancer!

En fait, le baume noir est dangereux et cause des problèmes de santé. Il ne guérit certainement pas le cancer ni toutes les maladies que les sites revendiquent pouvoir traiter. La sanguinaire est une plante vénéneuse.

De plus, la FDA n’est pas la seule à publier des avertissements au sujet du baume noir. Selon un article du Royal Australian College of General Practitioners, les ventes de baume noir ont commencé dans les années 1850 aux États-Unis. Les Américains ont appris que les Autochtones utilisent la sanguinaire pour soigner différentes maladies. Même si le baume noir était considéré comme une « tromperie » par la profession médicale à l’époque, il continuait néanmoins de réapparaître au fil des ans comme traitement pour différentes maladies. L’idée que les gens de l’époque utilisaient quelque chose de toxique comme moyen de guérison nous semble peut-être farfelue, mais l’article mentionnait que certaines personnes continuent d’utiliser le baume noir puisqu’il est présenté comme étant sécuritaire, facile à utiliser et naturel. Faites attention au terme « naturel ». Ce n’est pas parce que quelque chose est naturel qu’il est nécessairement sécuritaire.

Je n’utiliserais pas la sanguinaire à des fins médicales, mais elle est une teinture naturelle. Les Autochtones l’utilisaient pour teindre des paniers, mais nous devons faire attention lors de la manipulation de ces plantes puisque nous savons maintenant que la sanguinaire est vénéneuse. Pour terminer, la sanguinaire était considérée comme un porte-bonheur pour l’amour. Toutefois, faisons attention aux croyances liées au fait qu’une plante puisse provoquer l’amour. Au lieu, aimons tout simplement nos plantes naturelles et faisons attention en nature!

Sources : Cornell Botanic Gardens, Cornell University [en ligne]; Do Not Use: Black Salve is Dangerous and Called by Many Names, FDA 2020 [en ligne]; Black salve in a nutshell (2018), The Royal Australian College of General Practitioners [en ligne]