Ne cueillez pas les fleurs
texte et photos : Norma A. Hubbard, traduction : Chantal Lafrance (édition juin 2015)
Quand j’étais petite, je me souviens que nos forêts étaient peuplées de trilles à grandes fleurs (Trillium grandiflorum); cela ressemblait à une mer de vert et de blanc. C’était un spectacle impressionnant chaque printemps et la présence de ces fleurs annonçait des températures plus clémentes. Je me rappelle avec regret en avoir cueilli des bouquets géants pour ma mère, ne sachant pas, à l’époque, combien cette cueillette est dommageable pour ces plantes.
Les Trillium grandiflorum sont de la famille des Trilliaceae; plusieurs espèces de trilles poussent dans nos régions, mais le grandiflorum est de loin le plus spectaculaire et le plus connu de l’espèce. Son nom le décrit bien, puisque qu’il arbore de larges fleurs blanches. Il existe une espèce rare de trilles dont les pétales sont roses dès leur floraison (Trillium grandiflorum f. roseum), mais le Trillium grandiflorum, pour sa part, se décolore en teinte de rose à mesure qu’il vieillit.
Les trilles poussent en mars et leur floraison se poursuit jusqu’en mai. Comme ces plants aiment l’ombre, les forêts de nos régions sont un environnement idéal pour les trilles, car ces plantes affectionnent les sols bien drainés et parsemés de feuillus, comme les érables à sucre et les hêtres – deux espèces d’arbres qui poussent ici. Si une forêt est coupée, les trilles blancs ne survivront pas. Au Québec, le Trillium grandiflorum est souvent une espèce en voie de disparition à cause de la perte de son habitat.
Les trilles rouges (Trillium erectum), aussi connus sous le nom de trilles à fruits rouges ou trilles dressés, croissent également dans nos régions et poussent avant les trilles blancs. En anglais, on les surnomment Wake-Robin, Stinking Benjamin ou encore Birth Root. Comme leurs surnoms l’indiquent en anglais, ces plantes fleurissent avant même que les rouges-gorges arrivent au printemps et leurs fleurs rouges puent, elles ont une odeur de viande pourrie. Le surnom Birth Root est d’ailleurs associé à leur usage médicinal. Effectivement, dans le Guide Petersen, les Indiens d’Amérique concoctaient des thés avec les racines de ces plantes pour soigner les douleurs menstruelles, pour provoquer les accouchements et pour aider au travail lors des naissances; les plantes étaient aussi utilisées pour la ménopause et pour soigner d’autres maladies en passant par la toux, les ulcères, les morsures de serpents et même le diabète. Cependant, les fruits et les racines sont considérés comme légèrement toxiques.
Cela prend beaucoup d’années à la plante pour produire des fleurs à partir d’une graine. Les mouches, les insectes et surtout les fourmis sont nécessaires à la pollinisation. Les graines sont hydrophiles, ce qui signifie qu’elles ont besoin d’humidité pour croître. Si une graine survit, la première année est consacrée au développement des racines et c’est seulement après la troisième année que des feuilles poussent. Cela prendra encore une ou deux années avant que les fleurs apparaissent. Si une plante est déterrée, elle a peu de chance de survivre et ne le fera que si ses rhizomes (racines) sont exceptionnellement forts. Si la plupart des fleurs ne survivent pas si elles sont arrachées, les chances qu’elles le fassent dépendront de la force des rhizomes (du système racinaire).
En plus de la perte de son habitat et des enfants qui les arrachent innocemment pour en faire un bouquet pour leur mère, les chevreuils contribuent aussi à la disparition de la plante en s’en nourrissant allègrement lorsqu’arrive le printemps. Alors qu’il est tentant de cueillir les trilles, il vaut mieux s’en tenir à les admirer dans leur forêt.
Sources: Peterson Field Guide, Medicinal Plants (1990); Ontario Woodlot Association, Woodland Plants [online]