Pandémie 1832
par Mary Ducharme (traduction : Yvon Paquette) (juin 2020)
La pandémie de choléra de 1832 traversa la planète à partir des Indes jusqu’à Montréal, la ville de Québec et au-delà. Le Covid-19 poursuit un parcours semblable comme le font toutes les pandémies.
Le 25 février 1832, les législateurs du ministère de la Santé du Bas Canada établirent une petite île dans le fleuve Saint-Laurent avec des hôpitaux pour contenir et freiner le développement des maladies contagieuses. Déjà aux prises avec le typhus, ces hôpitaux devinrent débordés de patients avec une maladie inconnue. Le résultat fut le chaos, avec des infirmières épuisées devenant malades elles-mêmes ou bien refusant de travailler. Les saletés forcèrent les médecins à porter des caoutchoucs.
Le 3 juin 1832, le ‘’The Carrick’’, un navire de Dublin, Irlande, accosta à la station de quarantaine de Grosse-Île. Le navire était ancré au large à un point indiqué par des bouées et des chaloupes. Des médecins vinrent à bord pour y trouver 133 passagers entassés en troisième classe dont 59 décédés. La maladie pour certains fut brève: vivants et bien portants un matin, morts le lendemain. Les conditions à Montréal il y a 188 ans étaient tout aussi propices que sur les navires pour développer les maladies. Il n’y avait pas d’égout, les rues étaient pleines d’ordures, le terrain était bas et marécageux, et les abattoirs y dompaient des déchets. Ces rues étaient bondées de cabanes et autres sortes d’habitations.
Rapporté tout d’abord aux Indes, le choléra ravagea l’Asie, l’Europe, les îles britanniques, et l’Irlande. La maladie revint par vagues, la dernière en 1854, volant 20,000 vies canadiennes en tout. Survivre à la maladie ne garantissait pas l’immunité: George B. Ward, un médecin du temps, déclara que : «Il n’existe pas de barrières suffisantes pour empêcher son progrès… même ceux déjà visités ne sont pas toujours exemptés.»
Les immigrants arrivant en troisième classe en 1832 étaient au nombre de 70,000 à 80,000 à Montréal et à Québec. Traversant l’Atlantique en 5 à 12 semaines, les navires n’avaient ni toilettes ni bains. La nourriture était moisie et l’eau croupie. Sur les navires avec choléra, aux prises avec de l’eau et de la nourriture contaminées par la bactérie vibro cholerea, les mourants souffraient horriblement et le taux de mortalité était incontrôlable. Le ministère de la Santé de Montréal nia que la maladie inconnue était le choléra, mais changea d’avis face à un taux de mortalité qui croissait de façon alarmante. On relate dans le journal la Minerve du 14 juin : «Il n’y a pas de doute que le choléra est présent. Nous recommandons que le publique observe strictement les règles du ministère de la Santé. Nous ne devons pas nous inquiéter. Les apothicaires ont les remèdes nécessaires et leurs prix sont raisonnables». Les traitements des apothicaires incluaient le saignement, l’opium, et le calomel, ce qui empiraient les symptômes. Au pire de l’éruption il y avait tellement de victimes que les inhumations se faisaient dans des tranchées, et les orphelins étaient envoyés aux Dames de l’Asile des Orphelins. Les religieuses y étaient débordées.
La maladie se propagea dans les villes rurales et les villages. Un cas de Laprairie montre les effets de la contagion sur les familles. Félicité Denault mourut le 23 juin 1832. Deux jours plus tard, son père mourut ainsi que son époux, Louis Chabot. Sept de leurs douze enfants adultes furent aussi victimes.
Alors que les journaux des villes étaient accaparés par la controverse, l’histoire de la pandémie est moins suivie dans les plus petits villages et les régions rurales. Les registres des décès en incluent rarement les causes. Les registres de l’église catholique de l’Acadie nomment la maladie le 16 juillet 1832: « Maladie Épidémique ». Cette source révèle une augmentation dans les enterrements de juillet à août de 191 décès dans l’Acadie pour l’année, dont 75 en août. Les registres de l’église catholique de Napierville dénombrent 181 décès en 1832, avec 65 en août, et 27 en septembre. On ne trouve pas de registres de décès à Hemmingford pour cette année.
Au pire, on craignait que la maladie éliminerait toute la population de la province. Les ministères de la Santé de Montréal et de la ville de Québec fermèrent les écoles et les boutiques. Pour purifier l’air, des officiers anglais tirèrent du canon et des ouvriers sanitaires brûlèrent du goudron. Toutes les surfaces des bâtiments devaient être désinfectées avec une forte solution de chaux, et les sous-sols nettoyés de leur saletés et ordures. On devait enlever les déchets des rues. Les règles sanitaires en augmentèrent mais furent largement ignorées. Les systèmes gouvernementaux étaient sous-développés en 1832 et les efforts pour les renforcer restèrent sans effet. De fortes rumeurs à Montréal et à Québec blâmaient les immigrants. Le clergé y ajouta son support. Mgr Jean-Jacques Lartigue, évêque de Montréal parla «d’immigrants qui menacent de nous chasser de notre pays et de réduire notre population par la propagation de maladies». Une opinion circulant dans les journaux tels que la Gazette de Québec soutenait que les Irlandais étaient responsables de cette pandémie. Des éditeurs de journaux accusèrent des capitaines sans scrupules et des propriétaires de navires en Irlande qui s’engagèrent dans «un trafic horrible de vie humaine».
Il y eut beaucoup de cabanes inoccupées à Montréal à la fin de 1832, et personne n’anticipa les vagues futures de la maladie. Tout blâme était inutile et les familles sur toute la planète continuèrent à être victimes du choléra.