Une obsession royale
par Mary Ducharme (version française : Mario Leblanc) (décembre 2021)
En 1946, alors qu’il a quinze ans, Arnold McNaughton prend au hasard un livre avec une couverture rouge à la bibliothèque de son école. Il s’agit d’un livre sur la reine Victoria. Un détail attire son attention : quand la reine meurt en 1901, elle laisse dans le deuil quarante petits-enfants et trente-sept arrière-petits-enfants. C’est à ce moment-là, expliquera plus tard Arnold, « que mon intérêt pour la généalogie royale se déclenche ». Toutefois, ses recherches dans les encyclopédies et les bibliothèques locales s’avèrent décevantes.
Comme il est hors de question de traverser l’océan pour faire des recherches, il se dit que les meilleures sources sont les membres de la famille royale européenne eux-mêmes. Il écrit donc des centaines de lettres aux maisons royales et, à sa grande surprise, il reçoit une grande quantité de réponses et de cartes de Noël! Les familles royales sont ravies de recevoir des nouvelles et des potins sur des membres de leur parenté avec lesquels elles ont perdu le contact. Elles peuvent de plus compléter leurs propres lignées ancestrales.
Ce travail minutieux est toutefois refusé par les éditeurs qui considèrent que le public n’aura qu’un intérêt limité pour la lignée de la reine Victoria. En privé, il décrit son attrait pour la généalogie royale comme un « passe-temps insensé ».
Lord Earl Mountbatten, oncle du prince Phillip, a profondément influencé Arnold. Autant Mountbatten était chaleureux et généreux dans la vie privée, autant il était controversé dans ses rôles militaires, notamment en tant que gouverneur lors de la séparation de l’Inde et du Pakistan. Arnold ne l’a rencontré que deux fois, mais il le considérerait comme un ami et un mentor très apprécié. Grâce à Mountbatten, de nombreuses portes se sont ouvertes pour lui.
Jamais marié, et toujours à court d’argent, Arnold trouve un emploi chez Avon à Montréal. Il exploite aussi une petite imprimerie “offset” qui reproduit des formulaires de bureau. Il continue de travailler sur ses tableaux généalogiques de la royauté européenne après les heures de bureau jusque tard dans la nuit.
En 1961, il lit un article affirmant que Charles, prince de Galles, est un descendant à 17 degrés du roi George Ier. À sa grande surprise, il constate alors, qu’en fait tous les membres de la famille royale européenne peuvent prétendre être des descendants! Après deux décennies d’efforts, inimaginables pour les historiens les plus dévoués, il rassemble plus de 7000 photographies de ces descendants. Sa quête se transforme en un ouvrage de référence généalogique de 1508 pages publié par Garstone Press : The Book of Kings (Le Livre des Rois). C’est « un document unique dans le monde de la recherche historique ». Ce commentaire de l’écrivaine Barbara Croft dans Chatelaine est partagé par de nombreux généalogistes du monde entier. On s’arrange pour que la publication coïncide avec le mariage de la princesse Anne, et l’ensemble de trois volumes reçoit des éloges de toutes parts.
Le respect pour Arnold se répand parmi les maisons royales, la presse, les producteurs de télévision et les organisations qui le demandent comme conférencier. Arnold McNaughton, de Hemmingford Québec, devient une célébrité! On le décrit comme étant un homme à la fois courtois, charmant, effacé. Il est invité à assister au couronnement de la reine Elizabeth II en 1953. Il a eu une audience privée avec elle et le prince Philip à Toronto en 1977. Il a rencontré personnellement bon nombre des membres de la famille royale sur lesquels il a écrit. Mais son lien le plus étroit demeure Lord Earl Mountbatten.
Arnold a cependant un côté plus sombre qui reste inexplicable : il a la manie de crever les pneus, d’abord ceux des bicyclettes lorsqu’il est étudiant, puis ceux des voitures. Un journal relate son arrestation, mais les autorités ne pas mentionnent pas son nom, une protection qui se manifeste encore aujourd’hui dans la communauté. Personne ne connaît l’origine des troubles mentaux dont il souffre, mais on ne peut passer sous silence ses accomplissements et son héritage exceptionnel.
En août 1979, Lord Mountbatten est assassiné alors qu’il se trouve sur son yacht avec des membres de sa famille dans un attentat revendiqué par l’IRA. Pour Arnold, ce décès crée un vide impossible à combler ; son chagrin est insurmontable. De plus, il ne se sent pas capable de faire face aux conséquences juridiques de ses actes de vandalisme. Le 14 octobre 1979, il gare sa voiture près du pont Mercier : plus tard ce jour-là, on retire son corps des eaux sombres du Saint-Laurent …