Mamadou n’a fait que passer

par Mary Ducharme, traduction : Mario Leblanc (avril 2017)

Récemment, un journaliste cherchait des informations sur Roxham se demandant si c’était une communauté ou une ville fantôme. Les visiteurs de ce bout de chemin qui étreint la frontière, ont l’impression de changer d’époque et de se trouver à un des endroits les plus calmes de la planète. Maintenant les hélicoptères, les sirènes et les gyrophares ont envahi les lieux en totale contradiction avec les maisons centenaires et les vieux arbres. Les problèmes du monde entier se sont rendus aux portes de Roxham.

Tous les jours, des résidents, autant du Canada que des États Unis, traversent la frontière, que ce soit pour le travail, pour magasiner ou encore pour visiter parents et amis. Les douaniers nous reconnaissent et sont amicaux. Pourtant, cette même frontière a été le théâtre d’amers conflits entre les Anglais et les Français qui se disputaient les territoires du corridor Champlain, Richelieu et St-Laurent. Durant la Guerre de 1812 et la Rébellion des Patriotes de 1837, les soldats et les armes de contrebande “survolaient” de part et d’autre la frontière. Avant la Guerre Civile Américaine, traverser la frontière grâce au “Underground Railroad” représentait, pour des milliers d’anciens esclaves, la possibilité d’une nouvelle vie. Après la guerre civile, les féniens, groupe radical victime d’injustice en Irlande et aux États-Unis, laissent l’armée avec l’idée de libérer l’Amérique du Nord Britannique de la gouvernance anglaise. Quelques escarmouches et tentatives d’invasion ont inquiété alors les résidents locaux. Durant la prohibition, traverser la frontière illégalement est devenu une forme d’art. De nos jours, les travailleurs saisonniers migrants de notre région sont terrifiées à l’idée de traverser la frontière et même d’être vus à l’épicerie!

La frontière de Hemmingford a fait l’objet de plusieurs légendes : celles de corps gelés de migrants qui ont tenté de traverser la frontière illégalement pendant un de nos rudes hivers, ou encore celles de familles étrangères, noyées dans le lac parce que leur guide avait peur d’être poursuivi par les autorités. On peut dire que les événements récents pourront alimenter ce corpus.

Un récent article de Jonathan Montpetit de la CBC, relate l’histoire de Mamadou, un de ces réfugiés. Ce dernier est arrivé à New York comme réfugié il y a dix ans, mais on l’a retrouvé à peine conscient, près des douanes de Lacolle, au début mars alors qu’il faisait particulièrement froid; il a dû être hospitalisé. Son malheur vient du fait qu’on lui a refusé l’asile à la frontière, en vertu de l’entente sur les tiers pays sûrs qui permet l’asile uniquement au premier pays sûr où la demande du statut de réfugié est sollicitée. La tentative de réforme de l’immigration de Donald Trump implique que 434 immigrants comme Mamadou ne voient plus les États-Unis comme un endroit sûr. Comme Mamadou était à New York, il ne pouvait donc pas demander le statut de réfugié au Canada, et à ses yeux, il devenait apatride avec nulle part où aller.

Avec le radicalisme violent qui croît à travers le monde, il y a une exode multi-nationale sans précédent de dépossédés, harcelés par les gouvernements et organismes d’aide qui les utilisent à leur profit ou gain politique. Il n’y a pas parmi eux que des gens pauvres et sans instruction, on trouve également des professionnels hautement qualifiés, des universitaires et des gens d’affaires dont la vie est gâchée, confinés dans des camps ou en tentant de repartir à zéro dans des pays où ils doivent affronter des problèmes raciaux. La campagne américaine pour réprimer l’immigration illégale a modifié la perception des États-Unis comme pays sûr. Maintenant les réfugiés sont au même niveau que des suspects terroristes.

Les résidents qui demeurent près de la frontière sont devenus des témoins privilégiés des conflits qui se déroulent dans le monde. Que peut-on faire? Il y a bien peu de réponses à cette question, comme on a pu le constater à la rencontre, organisée par l’Église Unie, entre les citoyens concernés et divers représentants de l’immigration, au Centre Récréatif de Hemmingford. Les gens présents étaient prêts à faire tout ce qui était possible pour aider ceux qui avaient passé la frontière mais, comme l’a mentionné tristement un participant : “We can’t fix it”. En effet, on ne peux “réparer” le monde mais on peux faire entendre nos voix à nos politiciens : dans notre pays, il est possible pour ces gens de reconstruire leurs vies en toute sécurité.

Mamadou n’a fait que passer. On lui souhaite de trouver un pays sûr.